Pourquoi les grandes entreprises
périclitent et puis meurent? Un tour rapide dans Internet montre que les
grandes entreprises voient leur espérance de vie diminuer (15 ans à présent
pour les 500 plus grandes entreprises répertoriées par le magazine Fortune) et qu’elles restent de moins en
moins longtemps grandes (depuis 25
ans, 8 % sortent chaque année de ce classement, ce qui représente un taux
de roulement de 200 %).
Les explications avancées pour
expliquer ce phénomène portent habituellement sur le produit (qui n’est plus
assez bon), les concurrents (qui,
eux, deviennent meilleurs), les dirigeants (qui n’ont pas compris les
changements dans le monde et ceux qui sont à faire dans leur entreprise), les
syndicats (qui empêchent la flexibilité),
les fonds de pension (qui pèsent sur les coûts), l’innovation (qui disparaît),
et ainsi de suite.
Logiquement, ces explications ne
sont pas valides; en tout cas, pas si on les envisage sur le long terme.
Premièrement, ce sont toutes des explications a posteriori, ce qui a peu de valeur. (Tout le monde peut dire que
je suis tombé parce que j’ai heurté une pierre après que j’ai heurté une
pierre, mais peu de gens pourront me dire 30 secondes, un jour ou un mois avant
que je tombe en heurtant une pierre que je vais tomber parce que je vais
heurter une pierre.) Deuxièmement, ces explications, qui semblent au fond être
de bon sens, il serait logique que les dirigeants eux-mêmes les aient eues. La
plupart du temps, en effet, ils semblent assez intelligents (on peut en tout
cas le supposer quand on observe leur comportement et qu’on écoute ce qu’ils
disent), assez instruits (beaucoup proviennent des grandes universités) et
assez expérimentés (ils sont rarement jeunes); en tout cas, ils semblent au moins aussi instruits, intelligents et
expérimentés que les gens qui leur expliquent (journalistes, chercheurs,
consultants, gurus, etc.) pourquoi leur entreprise a périclité ou a disparu.
Voici la réponse que je propose :
les grandes entreprises périclitent ou disparaissent parce qu’elles ne parviennent pas à se réinventer en
tant qu’organisation sociale.
[Une
entreprise est une organisation sociale qui fournit des services ou produit des
produits en échange d’argent pour générer des profits. Sa nature diffère donc
clairement d’autres organisations sociales comme la famille (qui n’a normalement pas comme objectif de développer un
capital), les ordres religieux et les églises (dont la raison d’être n’est pas
d’effectuer un travail), les associations sans but lucratif (dont la finalité,
comme l'expression l'indique, n'est pas financière), l’armée (dont la finalité,
défendre un pays ou en conquérir un autre, n'est pas d'ordre financier), les
syndicats (fondés sur l’idée de défendre les travailleurs et non le capital),
les clubs sportifs amateurs (par opposition aux clubs sportifs professionnels
qui fonctionnent comme des entreprises privées), les partis politiques (à
vocation uniquement politique, pas sociale ou économique), et autres.]
Mon raisonnement est le suivant : il semble être un fait d’expérience que
les entreprises ont du mal à changer pour
éviter le déclin ou la mort; mais si une entreprise est une organisation
sociale et qu’elle a du mal à changer,
c’est qu’elle a du mal à changer en tant
qu’organisation sociale (puisque c’est une organisation sociale !). De
cet argument – qui n’en est pas un puisqu’il est circulaire –, on peut donc en déduire
que la cause du déclin ou de la mort des grandes entreprises est essentiellement sociologique. Les explications liées à
la finance, au marketing, à l’opérationnel, au produit, à la concurrence, aux
dirigeants, aux managers, à l’innovation, à la conjoncture, au secteur, à la
situation politique, aux lois, etc., toutes ces
explications n’en sont pas puisqu’elles ne portent pas sur les causes,
mais seulement sur les effets. La seule cause ne peut qu’être que sociologique et elle consiste dans le
fait que les grandes entreprises ont du mal non pas à changer (ce qui est
relativement facile), mais à se
changer en tant qu’organisation sociale (ce qui est très difficile).
Si cela est vrai et si chaque entreprise est différente (comme chaque
famille, chaque club sportif, chaque organisation sans but lucratif, etc. l’est),
cela veut dire qu’avant de changer quoi que ce soit à l’entreprise (sa
structure, sa vision, sa gestion financière, son approche marketing, son réseau
de distribution, sa taille, et ainsi de suite), il faut comprendre sa nature et son fonctionnement en tant
qu’organisation sociale.
On peut maintenant compléter le billet précédent sur la tribu des Kēběkwas en disant : « la raison logico-scientifique
de la disparition de la tribu Kēběkwa est qu’elle aurait dû se réinventer en tant qu’organisation
sociale ».
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